J. H. Lamberts und A. G. Kaestners Briefe.
31
XVIII.
Kaestner an Lambert.
Monsieur
Je vous dois infiniment de remercimens pour l’ouvrage de Mr. Ka 1-
mar. J’avois prepare un extrait de ce livre pour nos gazettes, mais on en
a Charge quelqu’autre qui s’aplique plus ä l’etude des langues que moy.
II laut avoir ce qu’il en fera, j’ai songe au moins qu’il n’en sera pa-rle
desavantageusement. La sagacite de M. K. et l’etendue de ses connois-
sances nieritent de l’estime; il ine paroit pourtant qu’il distingue ses
signes par trop de minuties qui demandent une attention trop scru-
puleuse, et qui donneroient occasion ä une infinite de meprises si ses
caracteres sont tracees par des mains savantes, ä l’ordinaire peu accou-
tuniees a former des caracteres lisibles; voyez p. e. combien petite est
la difference qu’il inet entre vita et mors.
2°. Touts ces inventeurs de caracteres universels les choisissent
chacun selon les etudes qui lui sont les plus familieres, de sorte qu’un
caractere qui paroit tres naturel ä l’un de ces inventeurs ne paroitra
de meme ä l’autre. D’ou il suit que ceux qui ne sont pas savans et meme
les savants qui n’auront pas les connoissances de l’inventeur trouveront
ces caracteres beaucoup plus difficiles ä retenir qu’il s’imagine.
32. Je ne vois pas assez de Systeme dans les caracteres deM. K. p. e.
il me semble que pour des caracteres philosophiques il falloit toujours
un certain signe qui marqueroit l’opposition des idees. Ainsi si je con-
sidere la mort. comme opposee de la vie je crois qu’il 1a- falloit ecrire
ainsi -— V.
Cela me conduit ä la remarque
4°. L’opposition est souvent assez arbitraire. Deux notions sont
opposees dans une certaine consideration qui ne le sont pas dans une
autre. Les classes des notions sont arbitraires et se changent selon la
maniere de les raporter ä nous. Le meme animal est le Roy des quadru-
pedes pour les poetes et un chat pour les naturalistes. Faut il le designer
comme chat ou comme Roy ? Cette maniere differente de considerer
les choses est indispensable parceque nous ne connoissons les choses
que par raport ä nous, et je crois que c’est lä le plus grand obstacle du
langage philosopliique de Leibniz et des inventeurs semblables.
J’ai ordonne de Vous faire tenir Monsieur le second tome de mes
oeuvres melees.
Je suis avec 1a- consideration la plus distinguee
Monsieur
Gottingue Votre tres humble et tres obeissant
ce 6 du May 1772. serviteur
Kaestner.
31
XVIII.
Kaestner an Lambert.
Monsieur
Je vous dois infiniment de remercimens pour l’ouvrage de Mr. Ka 1-
mar. J’avois prepare un extrait de ce livre pour nos gazettes, mais on en
a Charge quelqu’autre qui s’aplique plus ä l’etude des langues que moy.
II laut avoir ce qu’il en fera, j’ai songe au moins qu’il n’en sera pa-rle
desavantageusement. La sagacite de M. K. et l’etendue de ses connois-
sances nieritent de l’estime; il ine paroit pourtant qu’il distingue ses
signes par trop de minuties qui demandent une attention trop scru-
puleuse, et qui donneroient occasion ä une infinite de meprises si ses
caracteres sont tracees par des mains savantes, ä l’ordinaire peu accou-
tuniees a former des caracteres lisibles; voyez p. e. combien petite est
la difference qu’il inet entre vita et mors.
2°. Touts ces inventeurs de caracteres universels les choisissent
chacun selon les etudes qui lui sont les plus familieres, de sorte qu’un
caractere qui paroit tres naturel ä l’un de ces inventeurs ne paroitra
de meme ä l’autre. D’ou il suit que ceux qui ne sont pas savans et meme
les savants qui n’auront pas les connoissances de l’inventeur trouveront
ces caracteres beaucoup plus difficiles ä retenir qu’il s’imagine.
32. Je ne vois pas assez de Systeme dans les caracteres deM. K. p. e.
il me semble que pour des caracteres philosophiques il falloit toujours
un certain signe qui marqueroit l’opposition des idees. Ainsi si je con-
sidere la mort. comme opposee de la vie je crois qu’il 1a- falloit ecrire
ainsi -— V.
Cela me conduit ä la remarque
4°. L’opposition est souvent assez arbitraire. Deux notions sont
opposees dans une certaine consideration qui ne le sont pas dans une
autre. Les classes des notions sont arbitraires et se changent selon la
maniere de les raporter ä nous. Le meme animal est le Roy des quadru-
pedes pour les poetes et un chat pour les naturalistes. Faut il le designer
comme chat ou comme Roy ? Cette maniere differente de considerer
les choses est indispensable parceque nous ne connoissons les choses
que par raport ä nous, et je crois que c’est lä le plus grand obstacle du
langage philosopliique de Leibniz et des inventeurs semblables.
J’ai ordonne de Vous faire tenir Monsieur le second tome de mes
oeuvres melees.
Je suis avec 1a- consideration la plus distinguee
Monsieur
Gottingue Votre tres humble et tres obeissant
ce 6 du May 1772. serviteur
Kaestner.