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Innovationen durch Deuten und Gestalten: Klöster im Mittelalter zwischen Jenseits und Welt — Klöster als Innovationslabore, Band 1: Regensburg: Schnell + Steiner, 2014

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Dalarun, Jacques: Le corps monastique entre opus Dei et modernité
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https://doi.org/10.11588/diglit.31468#0031
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30 | Jacques Dalarun
C’est le moment critique où Raoul Glaber est, à plusieurs reprises, assailli par un
démon: « Et une des nuits, à l’heure où la cloche sonna les matines, il sembla en
effet à un moine que se tenait près de lui un être repoussant », ¹¹² qui lui demande
pourquoi les moines s’infligent « tant de peines, tant de veilles et de jeûnes, ainsi que
pénitences, psalmodies et bien d’autres humiliations », ¹¹³ alors que les hommes du
siècle peuvent fort bien être sauvés sans cela. « Car toi-même aussi », ajoute-t-il, « je
m’étonne de la raison pour laquelle, sitôt tu entends la cloche, tu sors en vitesse de
ton lit et romps le doux repos du sommeil, alors que tu pourrais t’abandonner au
sommeil jusqu’à la troisième sonnerie ». ¹¹⁴
Régime monastique et modernité
Les monastères médiévaux sont des laboratoires de la vie sociétale, des microsociétés
in vitro où le projet unanime d’édifier un autre monde, la coupure et l’enfermement
qui en résultent, l’emprise totale (totalitaire?) de la communauté sur l’individu,
corps et âme, ¹¹⁵ créent une exacerbation du lien social et une nouvelle définition
du sujet. Il ne s’agit pas de dire que les monastères médiévaux ont engendré à eux
seuls le monde où nous vivons et ne pouvaient en engendrer un autre: la vision
téléologique est à l’opposé de la démarche historienne. Mais il est instructif, à la
manière de l’archéologue, de repérer, sous la surface de notre modernité, les couches
anciennes qu’a sédimentées l’expérimentation monastique. En-deçà de toutes les
transformations qu’ils ont subies, l’école, l’hôpital ou la prison modernes portent
la marque du cloître. ¹¹⁶
112 Raoul Glaber, Histoires (note 95 supra), lib. V, cap. 1, p. 272: Cuidam namque monacho una noctium
visum est, hora que matutinale agitatum est signum, adfuisse sibi quendam teterrimum.
113 Raoul Glaber, Histoires (note 95 supra), lib. V, cap. 1, p. 272: tot labores tot vigilias atque ieiunia
necnon afflictiones et psalmodias pluresque alias humiliationes.
114 Raoul Glaber, Histoires (note 95 supra), lib. V, cap. 1, p. 272: Nam et tu ipse miror qua de causa tam
sollicitus, mox ut audis signum, velociter exsurgis a lecto rumpisque dulcem somni quietem cum posses
quieti indulgere vel usque ad tertium signum.
115 Voir Agamben, De la très haute pauvreté (note 31 supra), p. 43: « La méditation, qui peut s’accompagner
de n’importe quelle activité, est, en ce sens, le dispositif technique permettant la réalisation de l’ambition
totalitaire de l’institution monacale ».
116 Le rapport entre microcosme monastique et macrocosme social peut être appréhendé de diverses manières:
analogie herméneutique, influence concrète, transfert ciblé, tache d’huile. La relation peut être
perçue comme analogique ou métaphorique: le cloître serait un univers minoritaire concentrant et exacerbant
le paradigme du corps social dans son ensemble. Mais entre ces deux mondes, il y eut aussi des
influences concrètes: le clergé séculier a progressivement adopté la norme du clergé régulier, en matière
de chasteté, vie commune (les chanoines), pratique liturgique etc.; les cloîtres ont fourni de nombreux
prélats au clergé séculier (évêques, archevêques, légats et papes); des personnalités tels Bernard de Clairvaux
ou Pierre le Vénérable ont, par leur prédication, leur correspondance, leurs interventions de toutes
sortes auprès de la hiérarchie cléricale, des puissances laïques et des fidèles, influé sur la marche du
 
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