EXPLIQUER SHATIAL
GERARD FUSSMAN
A l'exception de quelques sites de la region de Chilas/Thalpan dont les limites topographiques peuvent
parfois preter ä discussion, les sites archeologiques de la KKH constituent des unites bien circonscrites:
dessins et inscriptions forment un ensemble compact et parfaitement isole. 11 en est ainsi ä Hunza-Haldei-
kish, ä Kunodas pres de Gilgit, ä Alam Bridge, ä Shing-Nala, ä Chilas II et ä Shatial. 11 est d'autant plus
legitime d'etudier et de publier ces "stations" comme des ensembles separes que chacun de ces sites pre-
sente des traits qui lui sont propres. Cette individualite, une fois caracterisee, necessite une explication
qui lui soit propre: aucune consideration generale ne peut rendre entierement compte de la localisation,
de la date et de la nature d'un ensemble donne.
En ce qui concerne Shatial, il faudra ainsi, comme pour tous les autres sites archeologiques de la KKH,
essayer de comprendre pourquoi le site se trouve en cet endroit precis du cours de l'Indus et pourquoi
il presente les particularites topographiques decrites dans le paragraphe consacre ä la topographie de
FEm/ehung. Mais il faudra aussi expliquer pourquoi c'est ä Shatial seulement que lbn trouve une teile
concentration d'inscriptions iraniennes, en particulier sogdiennes, et un aussi grand nombre de gravures
de par rapport aux autres sites de la KKH, telles sont en effet les deux particularites majeures de
Shatial.
Ces explications doivent tenir compte de ce que nous savons desormais de l'histoire de la haute vallee de
Tlndus, ou plus exactement de l'histoire de Chilas, de Gilgit et du Hunza, durant les premiers siecles de
notre ere. Resumes ä grands traits, en voici les elements que l'on peut desormais considerer comme assu-
res. De la fin du 1"^ siede avant n.e. jusqu'ä la conquete tibetaine du 8" siede de n.e., ces trois regions
virent passer de nombreux voyageurs venant d'Inde du Nord et du Nord-Ouest ou de Chine.^ 11 est pro-
bable, quoique rien ne l'indique, que la plupart ne firent pas la totalite du trajet de Finde au Xinjiang ou
du Xinjiang ä Finde et s'arreterent qui au Hunza, qui ä Gilgit, qui ä Chilas ou ailleurs, s'y etablirent, y
moururent ou en revinrent. 11 n'est pas impossible que cette route n'ait pas ete empruntee par des voya-
geurs chaque annee et qu'il y ait eu de tres longues periodes d'interruption. Du moins est-il certain que
dans la presque totalite des sites de la KKH gravures et/ou inscriptions se sont accumulees pendant des
dizaines, souvent pendant des centaines d'annees.
Comme nous ignorons quelle proportion de voyageurs a laisse son nom sur les rochers de la KKH, il n'est
pas possible d'estimer le nombre de voyageurs ayant emprunte cette route. Mais de Chilas au Hunza, la
terre suffit ä peine ä nourrir ses habitants. Nous savons qu'au XIX" siede et au XX" siede, jusqu'ä l'ou-
verture de la KKH, la fin du printemps etait un moment de disette car les reserves de grain et de fruits
secs etaient epuisees. 11 est probable que dans un passe plus recule, il en etait ainsi egalement et que des
groupes importants de voyageurs n'auraient pu etre nourris: le nombre annuel de voyageurs devait, je
pense, se compter en dizaines plus qu'en centaines. Tous ne venaient pas de lointains pays: l'analyse lin-
guistique des inscriptions montre que certains de ceux qui ont laisse leur nom sur les rochers de la KKH
1
Pour les liens avec les pays de langue iranienne, voir in/m P- 78. Les liens avec la Chine sont assures par la localisation des
inscriptions d'Hunza-Haldeikish, l'existence de quelques inscriptions chinoises anciennes (HÖLLMANN 1993) et le temoi-
gnage d'une inscription brähmi dAlam Bridge (FUSSMAN 1978: 41, n° 22, 12).
GERARD FUSSMAN
A l'exception de quelques sites de la region de Chilas/Thalpan dont les limites topographiques peuvent
parfois preter ä discussion, les sites archeologiques de la KKH constituent des unites bien circonscrites:
dessins et inscriptions forment un ensemble compact et parfaitement isole. 11 en est ainsi ä Hunza-Haldei-
kish, ä Kunodas pres de Gilgit, ä Alam Bridge, ä Shing-Nala, ä Chilas II et ä Shatial. 11 est d'autant plus
legitime d'etudier et de publier ces "stations" comme des ensembles separes que chacun de ces sites pre-
sente des traits qui lui sont propres. Cette individualite, une fois caracterisee, necessite une explication
qui lui soit propre: aucune consideration generale ne peut rendre entierement compte de la localisation,
de la date et de la nature d'un ensemble donne.
En ce qui concerne Shatial, il faudra ainsi, comme pour tous les autres sites archeologiques de la KKH,
essayer de comprendre pourquoi le site se trouve en cet endroit precis du cours de l'Indus et pourquoi
il presente les particularites topographiques decrites dans le paragraphe consacre ä la topographie de
FEm/ehung. Mais il faudra aussi expliquer pourquoi c'est ä Shatial seulement que lbn trouve une teile
concentration d'inscriptions iraniennes, en particulier sogdiennes, et un aussi grand nombre de gravures
de par rapport aux autres sites de la KKH, telles sont en effet les deux particularites majeures de
Shatial.
Ces explications doivent tenir compte de ce que nous savons desormais de l'histoire de la haute vallee de
Tlndus, ou plus exactement de l'histoire de Chilas, de Gilgit et du Hunza, durant les premiers siecles de
notre ere. Resumes ä grands traits, en voici les elements que l'on peut desormais considerer comme assu-
res. De la fin du 1"^ siede avant n.e. jusqu'ä la conquete tibetaine du 8" siede de n.e., ces trois regions
virent passer de nombreux voyageurs venant d'Inde du Nord et du Nord-Ouest ou de Chine.^ 11 est pro-
bable, quoique rien ne l'indique, que la plupart ne firent pas la totalite du trajet de Finde au Xinjiang ou
du Xinjiang ä Finde et s'arreterent qui au Hunza, qui ä Gilgit, qui ä Chilas ou ailleurs, s'y etablirent, y
moururent ou en revinrent. 11 n'est pas impossible que cette route n'ait pas ete empruntee par des voya-
geurs chaque annee et qu'il y ait eu de tres longues periodes d'interruption. Du moins est-il certain que
dans la presque totalite des sites de la KKH gravures et/ou inscriptions se sont accumulees pendant des
dizaines, souvent pendant des centaines d'annees.
Comme nous ignorons quelle proportion de voyageurs a laisse son nom sur les rochers de la KKH, il n'est
pas possible d'estimer le nombre de voyageurs ayant emprunte cette route. Mais de Chilas au Hunza, la
terre suffit ä peine ä nourrir ses habitants. Nous savons qu'au XIX" siede et au XX" siede, jusqu'ä l'ou-
verture de la KKH, la fin du printemps etait un moment de disette car les reserves de grain et de fruits
secs etaient epuisees. 11 est probable que dans un passe plus recule, il en etait ainsi egalement et que des
groupes importants de voyageurs n'auraient pu etre nourris: le nombre annuel de voyageurs devait, je
pense, se compter en dizaines plus qu'en centaines. Tous ne venaient pas de lointains pays: l'analyse lin-
guistique des inscriptions montre que certains de ceux qui ont laisse leur nom sur les rochers de la KKH
1
Pour les liens avec les pays de langue iranienne, voir in/m P- 78. Les liens avec la Chine sont assures par la localisation des
inscriptions d'Hunza-Haldeikish, l'existence de quelques inscriptions chinoises anciennes (HÖLLMANN 1993) et le temoi-
gnage d'une inscription brähmi dAlam Bridge (FUSSMAN 1978: 41, n° 22, 12).