Un corps en tension
Le corps monastique entre
opus Dei et modernité
Jacques Dalarun
La doctrine chrétienne a un rapport ambigu au corps. ¹ Deux moments émergent
dans l’Écriture qui l’inspire: Création et Incarnation. Dans le premier récit de la
Création, au sixième jour, Dieu crée l’homme à son image; il le crée sexué (« homme
et femme il les créa » ² ), l’exhorte à la fécondité et prévoit sa nourriture. ³ Dans le
second récit de la Création, Dieu modèle le corps de l’homme, puis lui insuffle
le souffle de vie. À partir de la côte de l’homme, il façonne la femme. L’homme y
reconnaît l’os de ses os, la chair de sa chair; et tous deux étaient nus. ⁴ S’ensuit la
chute ⁵ qui, très tôt dans l’exégèse, fut identifiée à la tentation de la chair, avec de redoutables
conséquences pour les filles d’Ève. ⁶ Viennent la nouvelle Ève et le nouvel
Adam. Dieu s’est incarné – « Et le Verbe s’est fait chair » ⁷ – : son Fils unique est né
d’une femme. Il est ressuscité. Aussi le Symbole des apôtres proclame-t-il la foi en
la résurrection de la chair, ⁸ tandis que la passion du Christ – qu’il subit pourtant du
fait d’une condamnation extérieure –, réitérée dans les passions des martyrs, devient
un passage obligé de la sequela Christi. ⁹
1 Voir Jean-Claude Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval (Bibliothèque des histoires),
Paris 1990, pp. 58 –79.
2 Genèse 1, 27: masculum et feminam creavit eos. Toutes les citations bibliques sont extraites de Biblia sacra
iuxta Vulgatam versionem, éd. Bonifatius Fischer/Jean Gribomont/Hedley Frederick Davis Sparks et
al., Stuttgart 1975.
3 Genèse 1, 26 –31.
4 Genèse 2, 7–25.
5 Genèse 3.
6 Voir Elaine Pagels, Adam, Eve and the Serpent, New York 1988, trad. Adam, Ève et le serpent, Paris 1989.
7 Jean 1, 14: Et verbum caro factum est.
8 Symbole des apôtres: Credo in […] carnis resurrectionem (« Je crois […] en la résurrection de la chair »).
9 Voir Marc 8, 34: Et convocata turba cum discipulis suis dixit eis: “Si quis vult post me sequi, deneget se
ipsum et tollat crucem suam et sequatur me” (« Et ayant convoqué la foule avec ses disciples, il leur dit:
“Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se nie lui–même, prenne sa croix et me suive” »). Un tel discours peut
difficilement refléter les paroles du Christ avant sa crucifixion.
Le corps monastique entre
opus Dei et modernité
Jacques Dalarun
La doctrine chrétienne a un rapport ambigu au corps. ¹ Deux moments émergent
dans l’Écriture qui l’inspire: Création et Incarnation. Dans le premier récit de la
Création, au sixième jour, Dieu crée l’homme à son image; il le crée sexué (« homme
et femme il les créa » ² ), l’exhorte à la fécondité et prévoit sa nourriture. ³ Dans le
second récit de la Création, Dieu modèle le corps de l’homme, puis lui insuffle
le souffle de vie. À partir de la côte de l’homme, il façonne la femme. L’homme y
reconnaît l’os de ses os, la chair de sa chair; et tous deux étaient nus. ⁴ S’ensuit la
chute ⁵ qui, très tôt dans l’exégèse, fut identifiée à la tentation de la chair, avec de redoutables
conséquences pour les filles d’Ève. ⁶ Viennent la nouvelle Ève et le nouvel
Adam. Dieu s’est incarné – « Et le Verbe s’est fait chair » ⁷ – : son Fils unique est né
d’une femme. Il est ressuscité. Aussi le Symbole des apôtres proclame-t-il la foi en
la résurrection de la chair, ⁸ tandis que la passion du Christ – qu’il subit pourtant du
fait d’une condamnation extérieure –, réitérée dans les passions des martyrs, devient
un passage obligé de la sequela Christi. ⁹
1 Voir Jean-Claude Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval (Bibliothèque des histoires),
Paris 1990, pp. 58 –79.
2 Genèse 1, 27: masculum et feminam creavit eos. Toutes les citations bibliques sont extraites de Biblia sacra
iuxta Vulgatam versionem, éd. Bonifatius Fischer/Jean Gribomont/Hedley Frederick Davis Sparks et
al., Stuttgart 1975.
3 Genèse 1, 26 –31.
4 Genèse 2, 7–25.
5 Genèse 3.
6 Voir Elaine Pagels, Adam, Eve and the Serpent, New York 1988, trad. Adam, Ève et le serpent, Paris 1989.
7 Jean 1, 14: Et verbum caro factum est.
8 Symbole des apôtres: Credo in […] carnis resurrectionem (« Je crois […] en la résurrection de la chair »).
9 Voir Marc 8, 34: Et convocata turba cum discipulis suis dixit eis: “Si quis vult post me sequi, deneget se
ipsum et tollat crucem suam et sequatur me” (« Et ayant convoqué la foule avec ses disciples, il leur dit:
“Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se nie lui–même, prenne sa croix et me suive” »). Un tel discours peut
difficilement refléter les paroles du Christ avant sa crucifixion.