28 | Jacques Dalarun
subir une sorte de rituel de réintégration et ne rien dire de ce qu’il a vu hors du monastère.
⁸⁵ Le moine venu d’un autre monastère sera examiné avec grande prudence;
s’il présente le moindre défaut, il ne faut surtout pas « qu’il soit associé au corps
du monastère ». ⁸⁶ Les hôtes de passage sont accueillis avec grand soin, car ils sont
images du Christ, mais avec la nécessaire mise à distance. ⁸⁷
L’organisation du corps monastique évoque l’organisation militaire, si présente
dans l’expérience de Pacôme, qui inaugure le cénobitisme. Mais dans la Règle de Benoît,
sous l’influence de la Règle du Maître, c’est la métaphore industrielle qui l’emporte:
le monastère est « un atelier » ⁸⁸ et le moine « l’ouvrier » ⁸⁹ du Seigneur. Toute
l’organisation de la vie monastique découle en effet de l’opus Dei qui la justifie et
la structure. ⁹⁰ « L’oisiveté est l’ennemie de l’âme et c’est pourquoi, à des moments
déterminés, les frères doivent s’occuper au travail des mains; à d’autres heures déterminées,
à la lecture divine ». ⁹¹ Mais en fait, l’emploi du temps qui suit ne fait que
se glisser dans les vides laissés par la fonction essentielle: la liturgie. ⁹²
C’est pour être toujours prêts à l’opus Dei que les moines doivent se coucher
vêtus. ⁹³ La célébration liturgique commune, à des heures fixées et annoncées par
l’abbé, ⁹⁴ implique que tout le corps monastique vive exactement au même rythme.
Même le moment des besoins naturels (qui se faisaient dans des latrines communes,
85 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 67, p. 662.
86 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 61, 6, p. 638: sociari corpori monasterii. L’expression est
forte; elle pourrait être la devise de chacun se fondant dans la communauté bénédictine.
87 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 53, pp. 610 – 616. Voir La Règle de saint Benoît, vol. 6 (note
23 supra), pp. 1262–1279.
88 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 4, 78, p. 464: officina. Voir la formulation encore plus détaillée
de la Règle du Maître, cap. 6, 1–2, p. 470, dans: La Règle du Maître, vol. 1, éd. Adalbert de Vogüé
(Sources chrétiennes 105), Paris 1964, p. 380: Officina vero monasterium est; in qua ferramenta cordis
in corporis clusura reposita opus divinae artis diligenti custodia perseverando operari potest (« L’atelier,
c’est le monastère; les outils du cœur y sont reclus dans la clôture du corps; l’œuvre de l’art divin peut
y opérer en persévérant par un diligent contrôle »). Voir le commentaire d’Agamben, De la très haute
pauvreté (note 31 supra), p. 51.
89 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), prologus, 14, p. 416 et cap. 7, 70, p. 490: operarium.
90 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 8 –20, pp. 508 – 536.
91 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 48, 1, p. 598: Otiositas inimica est animae, et ideo certis
temporibus occupari debent fratres in labore manuum, certis iterum horis in lectione divina. Sur les
usages de labor et opus, voir Neufville, Concordance verbale (note 25 supra), pp. 764 et 790 –791.
92 Voir Agamben, De la très haute pauvreté (note 31 supra), pp. 38 –39: « Alors que la liturgie ecclésiastique
sépare la célébration de l’office du travail et du repos, la règle monastique […] considère l’œuvre des
mains comme une partie indiscernable de l’opus Dei ». Ibid., pp. 39 – 40: « La spiritualisation de l’œuvre
des mains qui se réalise de cette manière peut être vue comme un précurseur significatif de cette ascèse
protestante du travail, dont le capitalisme, selon Max Weber, représente la sécularisation ».
93 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 22, pp. 540 – 542.
94 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 47, pp. 596 – 598.
subir une sorte de rituel de réintégration et ne rien dire de ce qu’il a vu hors du monastère.
⁸⁵ Le moine venu d’un autre monastère sera examiné avec grande prudence;
s’il présente le moindre défaut, il ne faut surtout pas « qu’il soit associé au corps
du monastère ». ⁸⁶ Les hôtes de passage sont accueillis avec grand soin, car ils sont
images du Christ, mais avec la nécessaire mise à distance. ⁸⁷
L’organisation du corps monastique évoque l’organisation militaire, si présente
dans l’expérience de Pacôme, qui inaugure le cénobitisme. Mais dans la Règle de Benoît,
sous l’influence de la Règle du Maître, c’est la métaphore industrielle qui l’emporte:
le monastère est « un atelier » ⁸⁸ et le moine « l’ouvrier » ⁸⁹ du Seigneur. Toute
l’organisation de la vie monastique découle en effet de l’opus Dei qui la justifie et
la structure. ⁹⁰ « L’oisiveté est l’ennemie de l’âme et c’est pourquoi, à des moments
déterminés, les frères doivent s’occuper au travail des mains; à d’autres heures déterminées,
à la lecture divine ». ⁹¹ Mais en fait, l’emploi du temps qui suit ne fait que
se glisser dans les vides laissés par la fonction essentielle: la liturgie. ⁹²
C’est pour être toujours prêts à l’opus Dei que les moines doivent se coucher
vêtus. ⁹³ La célébration liturgique commune, à des heures fixées et annoncées par
l’abbé, ⁹⁴ implique que tout le corps monastique vive exactement au même rythme.
Même le moment des besoins naturels (qui se faisaient dans des latrines communes,
85 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 67, p. 662.
86 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 61, 6, p. 638: sociari corpori monasterii. L’expression est
forte; elle pourrait être la devise de chacun se fondant dans la communauté bénédictine.
87 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 53, pp. 610 – 616. Voir La Règle de saint Benoît, vol. 6 (note
23 supra), pp. 1262–1279.
88 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 4, 78, p. 464: officina. Voir la formulation encore plus détaillée
de la Règle du Maître, cap. 6, 1–2, p. 470, dans: La Règle du Maître, vol. 1, éd. Adalbert de Vogüé
(Sources chrétiennes 105), Paris 1964, p. 380: Officina vero monasterium est; in qua ferramenta cordis
in corporis clusura reposita opus divinae artis diligenti custodia perseverando operari potest (« L’atelier,
c’est le monastère; les outils du cœur y sont reclus dans la clôture du corps; l’œuvre de l’art divin peut
y opérer en persévérant par un diligent contrôle »). Voir le commentaire d’Agamben, De la très haute
pauvreté (note 31 supra), p. 51.
89 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), prologus, 14, p. 416 et cap. 7, 70, p. 490: operarium.
90 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 8 –20, pp. 508 – 536.
91 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 48, 1, p. 598: Otiositas inimica est animae, et ideo certis
temporibus occupari debent fratres in labore manuum, certis iterum horis in lectione divina. Sur les
usages de labor et opus, voir Neufville, Concordance verbale (note 25 supra), pp. 764 et 790 –791.
92 Voir Agamben, De la très haute pauvreté (note 31 supra), pp. 38 –39: « Alors que la liturgie ecclésiastique
sépare la célébration de l’office du travail et du repos, la règle monastique […] considère l’œuvre des
mains comme une partie indiscernable de l’opus Dei ». Ibid., pp. 39 – 40: « La spiritualisation de l’œuvre
des mains qui se réalise de cette manière peut être vue comme un précurseur significatif de cette ascèse
protestante du travail, dont le capitalisme, selon Max Weber, représente la sécularisation ».
93 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 22, pp. 540 – 542.
94 La Règle de saint Benoît (note 23 supra), cap. 47, pp. 596 – 598.