32 | Jacques Dalarun
L’essai de Max Weber, « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », a été
l’objet de nombreuses critiques. Si le lien généalogique entre puritanisme et capitalisme
a été infirmé, la phénoménologie instantanée qu’offre Max Weber de la symbiose
entre puritanisme et capitalisme n’a, à mon sens, rien perdu de sa pertinence.
Et il indique clairement, offrant cette fois-ci une piste généalogique pertinente, que
le rigorisme puritain n’est autre que la discipline monastique qui prend le monde
pour cloître. ¹²³ Le monachisme médiéval n’avait certes pas pour projet de préparer
vante, Giorgio Agamben exagère quelque peu sa propre clairvoyance. Il ne s’interroge pas, en revanche,
sur les différences d’évaluation du temps d’un univers à l’autre; voir le plus que quinquagénaire mais
indépassable article de Jacques Le Goff, Au Moyen Âge: Temps de l’Église et temps du marchand,
dans: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 15, 1960, pp. 417– 433, réimprimé à plusieurs reprises.
123 Weber, L’éthique protestante (note 16 supra), p. 136 –137, à propos de l’ascétisme chrétien dans l’Occident
médiéval: « L’ascétisme était devenu une méthode de conduite rationnelle visant à surmonter
le status naturae, à soustraire l’homme à la puissance des instincts, à le libérer de sa dépendance à
l’égard du monde et de la nature, afin de le subordonner à la suprématie d’une volonté préméditée et de
soumettre ses actions à un contrôle [Selbstkontrolle] permanent et à un examen consciencieux de leur
portée éthique. Objectivement, il entraînait ainsi le moine à devenir un ouvrier au service de Dieu tout
en assurant – subjectivement – le salut de son âme ». Ibid., p. 140, à propos du Calvinisme: « En fondant
son éthique sur la doctrine de la prédestination, il substituait à une aristocratie spirituelle de moines se
tenant au-dessus de ce monde, l’aristocratie spirituelle – en ce monde – des saints prédestinés par Dieu
de toute éternité ». Ibid., p. 143: « Cette systématisation de la conduite éthique, commune à l’ascétisme
du protestantisme calviniste et aux formes rationnelles de la vie monastique catholique … ». Ibid., p. 184:
« Certes, on avait vu l’ascétisme chrétien, après avoir fui le monde dans la solitude, gouverner ce monde
auquel il avait renoncé, à partir du monastère et par l’Église. Mais, en règle générale, il avait laissé à la
vie quotidienne dans le siècle son caractère naturel et spontané. Après avoir claqué derrière lui la porte
du monastère, voilà qu’il se répandait maintenant sur la place du marché et entreprenait d’imprégner
de sa méthode la routine de l’existence, d’en faire une vie rationnelle en ce monde, mais nullement de
ce monde ou pour ce monde ». Ibid., p. 189, à propos de l’ascétisme protestant selon Richard Baxter:
« Ce n’est ni l’oisiveté ni la jouissance, mais l’activité seule qui sert à accroître la gloire de Dieu, selon les
manifestations sans équivoque de sa volonté. […] Le temps est précieux, infiniment, car chaque heure
perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloire divine »; et ibid., note 1: « nous ne devons pas oublier
qu’au Moyen Âge, les moines furent les premiers à vivre selon une minutieuse division du temps, et
qu’en cela résidait l’utilité des cloches ». Ibid., p. 190 –191, sur le même sujet: « En premier lieu, le travail
a dès longtemps fait ses preuves en tant que moyen ascétique, et l’Église d’Occident l’a toujours fort
prisé. Cela en opposition non seulement avec l’Orient, mais avec presque toutes les règles monastiques
du monde entier. […] La continence du puritain diffère dans son degré, non dans son principe fondamental,
de la chasteté monastique ». Voir encore ibid., pp. 214 –217, sur le parallèle entre le paradoxe de
l’économie monastique et l’enrichissement puritain. Id., Les sectes protestantes et l’esprit du capitalisme,
dans: Ibid., pp. 252–253: « En fait, la discipline des sectes ascétiques était beaucoup plus rigoureuse que
celle de n’importe quelle Église; elle était en cela analogue à la discipline monastique ». Max Weber
manque en revanche le lien lexical entre rationalisation du travail et opus Dei lorsqu’il indique, ibid., p.
82, que « l’occupation continue d’un homme, son travail, qui est aussi (normalement) la source de ses
revenus, le fondement économique durable de son existence, enfin ce que l’on exprime en allemand par
Beruf, se rend en latin, en dehors de l’incolore opus … ». Agamben, De la très haute pauvreté (note 31
supra), p. 117, a esquissé un lien subtil mais profond entre monachisme et protestantisme: « Dans cette
perspective, il serait légitime de considérer la réforme protestante comme la revanche implacable, promue
par un moine augustinien, Luther, de la liturgie monastique contre la liturgie ecclésiastique; et ce
n’est certainement pas un hasard si, du point de vue strictement liturgique, la Réforme se distingue par
la prééminence de la prière, de la lecture et de la psalmodie (formes propres à la liturgie monastique) et
la moindre importance accordée à l’office eucharistique et sacramentel ».
L’essai de Max Weber, « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », a été
l’objet de nombreuses critiques. Si le lien généalogique entre puritanisme et capitalisme
a été infirmé, la phénoménologie instantanée qu’offre Max Weber de la symbiose
entre puritanisme et capitalisme n’a, à mon sens, rien perdu de sa pertinence.
Et il indique clairement, offrant cette fois-ci une piste généalogique pertinente, que
le rigorisme puritain n’est autre que la discipline monastique qui prend le monde
pour cloître. ¹²³ Le monachisme médiéval n’avait certes pas pour projet de préparer
vante, Giorgio Agamben exagère quelque peu sa propre clairvoyance. Il ne s’interroge pas, en revanche,
sur les différences d’évaluation du temps d’un univers à l’autre; voir le plus que quinquagénaire mais
indépassable article de Jacques Le Goff, Au Moyen Âge: Temps de l’Église et temps du marchand,
dans: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 15, 1960, pp. 417– 433, réimprimé à plusieurs reprises.
123 Weber, L’éthique protestante (note 16 supra), p. 136 –137, à propos de l’ascétisme chrétien dans l’Occident
médiéval: « L’ascétisme était devenu une méthode de conduite rationnelle visant à surmonter
le status naturae, à soustraire l’homme à la puissance des instincts, à le libérer de sa dépendance à
l’égard du monde et de la nature, afin de le subordonner à la suprématie d’une volonté préméditée et de
soumettre ses actions à un contrôle [Selbstkontrolle] permanent et à un examen consciencieux de leur
portée éthique. Objectivement, il entraînait ainsi le moine à devenir un ouvrier au service de Dieu tout
en assurant – subjectivement – le salut de son âme ». Ibid., p. 140, à propos du Calvinisme: « En fondant
son éthique sur la doctrine de la prédestination, il substituait à une aristocratie spirituelle de moines se
tenant au-dessus de ce monde, l’aristocratie spirituelle – en ce monde – des saints prédestinés par Dieu
de toute éternité ». Ibid., p. 143: « Cette systématisation de la conduite éthique, commune à l’ascétisme
du protestantisme calviniste et aux formes rationnelles de la vie monastique catholique … ». Ibid., p. 184:
« Certes, on avait vu l’ascétisme chrétien, après avoir fui le monde dans la solitude, gouverner ce monde
auquel il avait renoncé, à partir du monastère et par l’Église. Mais, en règle générale, il avait laissé à la
vie quotidienne dans le siècle son caractère naturel et spontané. Après avoir claqué derrière lui la porte
du monastère, voilà qu’il se répandait maintenant sur la place du marché et entreprenait d’imprégner
de sa méthode la routine de l’existence, d’en faire une vie rationnelle en ce monde, mais nullement de
ce monde ou pour ce monde ». Ibid., p. 189, à propos de l’ascétisme protestant selon Richard Baxter:
« Ce n’est ni l’oisiveté ni la jouissance, mais l’activité seule qui sert à accroître la gloire de Dieu, selon les
manifestations sans équivoque de sa volonté. […] Le temps est précieux, infiniment, car chaque heure
perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloire divine »; et ibid., note 1: « nous ne devons pas oublier
qu’au Moyen Âge, les moines furent les premiers à vivre selon une minutieuse division du temps, et
qu’en cela résidait l’utilité des cloches ». Ibid., p. 190 –191, sur le même sujet: « En premier lieu, le travail
a dès longtemps fait ses preuves en tant que moyen ascétique, et l’Église d’Occident l’a toujours fort
prisé. Cela en opposition non seulement avec l’Orient, mais avec presque toutes les règles monastiques
du monde entier. […] La continence du puritain diffère dans son degré, non dans son principe fondamental,
de la chasteté monastique ». Voir encore ibid., pp. 214 –217, sur le parallèle entre le paradoxe de
l’économie monastique et l’enrichissement puritain. Id., Les sectes protestantes et l’esprit du capitalisme,
dans: Ibid., pp. 252–253: « En fait, la discipline des sectes ascétiques était beaucoup plus rigoureuse que
celle de n’importe quelle Église; elle était en cela analogue à la discipline monastique ». Max Weber
manque en revanche le lien lexical entre rationalisation du travail et opus Dei lorsqu’il indique, ibid., p.
82, que « l’occupation continue d’un homme, son travail, qui est aussi (normalement) la source de ses
revenus, le fondement économique durable de son existence, enfin ce que l’on exprime en allemand par
Beruf, se rend en latin, en dehors de l’incolore opus … ». Agamben, De la très haute pauvreté (note 31
supra), p. 117, a esquissé un lien subtil mais profond entre monachisme et protestantisme: « Dans cette
perspective, il serait légitime de considérer la réforme protestante comme la revanche implacable, promue
par un moine augustinien, Luther, de la liturgie monastique contre la liturgie ecclésiastique; et ce
n’est certainement pas un hasard si, du point de vue strictement liturgique, la Réforme se distingue par
la prééminence de la prière, de la lecture et de la psalmodie (formes propres à la liturgie monastique) et
la moindre importance accordée à l’office eucharistique et sacramentel ».