22 | Jacques Dalarun
le mépris du corps pour exprimer le mépris du monde et défendre, contre les puissances
du siècle, la libertas Ecclesiae. ¹⁹ Elle aussi est un excès critique. ²⁰
Revenons à la norme, avec la Règle qui a le plus profondément marqué le monachisme
occidental: ²¹ celle qui est traditionnellement attribuée à saint Benoît. ²²
19 Robert Bultot, Christianisme et valeurs humaines. A: La Doctrine du mépris du monde en Occident de
S. Ambroise à Innocent III. 4: Le XI ᵉ siècle, vol. 1: Pierre Damien, Louvain 1963.
20 Dans son « Histoire occidentale », écrite entre 1219 et 1226, Jacques de Vitry condamne les deux voies extrêmes
du relâchement et de l’ascétisme, et célèbre la voie médiane: Jacques de Vitry, Histoire occidentale.
Historia occidentalis (Tableau de l’Occident au XIII ᵉ siècle), trad. Gaston Duchet-Suchaux (Sagesses
chrétiennes), Paris 1997, cap. 33, pp. 201–203.
21 L’enquête devrait évidemment être étendue à l’ensemble des Règles et des coutumes monastiques; voir
L’histoire des moines, chanoines et religieux au Moyen Âge. Guide de recherche et documents, éd. André
Vauchez/Cécile Caby (L’atelier du médiéviste 9), Brepols 2003, pp. 71–97. Elle devrait remonter aux
modèles orientaux et tenir compte des évolutions historiques du monachisme; voir Giovanni Miccoli,
I monaci, dans: L’uomo medievale, éd. Jacques Le Goff (Storia e società), Rome-Bari 1988, pp. 39 – 80.
Pour une fresque détaillée du monachisme occidental, Adalbert de Vogüé, Histoire littéraire du mouvement
monastique dans l’Antiquité. Première partie: le monachisme latin, vol. 1–12, Paris 1991–2008.
22 Depuis que l’hypothèse en a été lancée (Augustin Genestout, La Règle du Maître et la Règle de S. Benoît,
dans: Revue d’ascétique et de mystique 21, 1940, pp. 51–112), il a progressivement été établi que la
Règle bénédictine avait pour modèle la Règle du Maître; ce point n’est aujourd’hui plus guère contesté.
Reste à trouver un auteur à l’anonyme Règle du Maître. Si, comme il est aussi généralement admis, ce texte
a été composé quelques décennies avant la Règle bénédictine au sud de Rome, il est tentant de faire de Benoît
l’auteur des deux Règles: Benoît jeune auteur de la Règle du Maître à Subiaco, Benoît âgé auteur de la
Règle bénédictine au Mont-Cassin. De manière plus ou moins assurée, un certain nombre de savants – et
non des moindres – ont émis ou laissé entendre cette hypothèse: Odo John Zimmermann, The Regula
Magistri: The Primitive Rule of St. Benedict, dans: The American Benedictine Review 1, 1950, pp. 11–36;
Ildefonso Maria Gómez, El problema de la Regla de san Benito, dans: Hispania sacra. Revista española
de historia eclesiástica 9, 1956, pp. 1–55; Adalbert de Vogüé, La Règle du Maître et les Dialogues de
S. Grégoire, dans: Revue d’histoire ecclésiastique 61, 1966, pp. 44 –76; Pacià Garriga, Subiaco i Montecassino
en la redacció de la Regla de san Benet, dans: Studia monastica 9, 1967, pp. 257–273; Antonio
Linage Conde, Una hipótesis en torno a la obra literaria de san Benito, dans: Archivos leonenses 29,
1975, pp. 59 – 81; Adalbaert de Vogüé, Structure et gouvernement de la communauté monastique chez
saint Benoît et autour de lui, dans: Atti del 7° Congresso internazionale di studio sull’alto Medioevo:
San Benedetto nel suo tempo. Norcia-Subiaco-Cassino-Montecassino, 29 settembre–5 ottobre 1980, 2
vols., Spolète 1982, pp. 563 –598, en particulier pp. 563 –564; Gregorio Penco, S. Benedetto può essere
autore anche della Regula Magistri?, dans: Benedictina 34, 1987, pp. 521–528; Ildefonso Maria Gomez,
Regla del Maestro – Regla de San Benito. Edicio Sinoptica, Zamora 1988; Adalbert de Vogüé, La Regola
del Maestro e la Regola di san Benedetto in relazione con i primi monasteri Benedettini, dans: XV
centenario della venuta di S. Benedetto a Subiaco. Celebrazioni benedettine 1999 –2001. Acta, éd. Maria
Antonietta Orlandi, Subiaco 2002, pp. 127–136; Paolo Bertolini, Dalle fondazioni di Subiaco a quella
di Montecassino: continuità o frattura?, dans: Ibid., pp. 177–191; Adalbert de Vogüé, Histoire littéraire
(note 21 supra), vol. 8: De la Vie des Pères du Jura aux œuvres de Césaire d’Arles (500 –542), p. 349. À
lire ces travaux, on finit même par se persuader que la Règle du Maître est plus conforme que la Règle
dite « bénédictine » à ce qu’on sait de l’expérience monastique de Benoit par le livre II des Dialogues de
Grégoire le Grand. Or les différences, lexicales entre autres, entre Règle du Maître et Règle bénédictine
ont été soulignées, par exemple par Eugène Manning, Les Hapax Legomena dans la Règle du Maître,
dans: Archivum Latinitatis Medii Aevi 3, 1963, pp. 17–34; Id., Observations sur la présence de la Regula
Magistri à Subiaco, dans: Recherches de théologie ancienne et médiévale 33, 1966, pp. 338 –341. Par une
sorte de renversement historiographique, la question se pose alors de savoir si Benoît est bien l’auteur de
la Règle dite « bénédictine ». Peu d’auteurs se sont lancés dans cette voie; pour Jacques Froger, La Règle
du Maître et les sources du monachisme bénédictin, dans: Revue d’ascetique et de mystique 30, 1954, pp.
275 –288, la Règle du Maître est l’œuvre de Benoît, tandis que la Règle bénédictine pourrait en être un
abrégé remanié du premier quart du VII ᵉ siècle, peut-être dû à Venerandus, premier témoin à mention-
le mépris du corps pour exprimer le mépris du monde et défendre, contre les puissances
du siècle, la libertas Ecclesiae. ¹⁹ Elle aussi est un excès critique. ²⁰
Revenons à la norme, avec la Règle qui a le plus profondément marqué le monachisme
occidental: ²¹ celle qui est traditionnellement attribuée à saint Benoît. ²²
19 Robert Bultot, Christianisme et valeurs humaines. A: La Doctrine du mépris du monde en Occident de
S. Ambroise à Innocent III. 4: Le XI ᵉ siècle, vol. 1: Pierre Damien, Louvain 1963.
20 Dans son « Histoire occidentale », écrite entre 1219 et 1226, Jacques de Vitry condamne les deux voies extrêmes
du relâchement et de l’ascétisme, et célèbre la voie médiane: Jacques de Vitry, Histoire occidentale.
Historia occidentalis (Tableau de l’Occident au XIII ᵉ siècle), trad. Gaston Duchet-Suchaux (Sagesses
chrétiennes), Paris 1997, cap. 33, pp. 201–203.
21 L’enquête devrait évidemment être étendue à l’ensemble des Règles et des coutumes monastiques; voir
L’histoire des moines, chanoines et religieux au Moyen Âge. Guide de recherche et documents, éd. André
Vauchez/Cécile Caby (L’atelier du médiéviste 9), Brepols 2003, pp. 71–97. Elle devrait remonter aux
modèles orientaux et tenir compte des évolutions historiques du monachisme; voir Giovanni Miccoli,
I monaci, dans: L’uomo medievale, éd. Jacques Le Goff (Storia e società), Rome-Bari 1988, pp. 39 – 80.
Pour une fresque détaillée du monachisme occidental, Adalbert de Vogüé, Histoire littéraire du mouvement
monastique dans l’Antiquité. Première partie: le monachisme latin, vol. 1–12, Paris 1991–2008.
22 Depuis que l’hypothèse en a été lancée (Augustin Genestout, La Règle du Maître et la Règle de S. Benoît,
dans: Revue d’ascétique et de mystique 21, 1940, pp. 51–112), il a progressivement été établi que la
Règle bénédictine avait pour modèle la Règle du Maître; ce point n’est aujourd’hui plus guère contesté.
Reste à trouver un auteur à l’anonyme Règle du Maître. Si, comme il est aussi généralement admis, ce texte
a été composé quelques décennies avant la Règle bénédictine au sud de Rome, il est tentant de faire de Benoît
l’auteur des deux Règles: Benoît jeune auteur de la Règle du Maître à Subiaco, Benoît âgé auteur de la
Règle bénédictine au Mont-Cassin. De manière plus ou moins assurée, un certain nombre de savants – et
non des moindres – ont émis ou laissé entendre cette hypothèse: Odo John Zimmermann, The Regula
Magistri: The Primitive Rule of St. Benedict, dans: The American Benedictine Review 1, 1950, pp. 11–36;
Ildefonso Maria Gómez, El problema de la Regla de san Benito, dans: Hispania sacra. Revista española
de historia eclesiástica 9, 1956, pp. 1–55; Adalbert de Vogüé, La Règle du Maître et les Dialogues de
S. Grégoire, dans: Revue d’histoire ecclésiastique 61, 1966, pp. 44 –76; Pacià Garriga, Subiaco i Montecassino
en la redacció de la Regla de san Benet, dans: Studia monastica 9, 1967, pp. 257–273; Antonio
Linage Conde, Una hipótesis en torno a la obra literaria de san Benito, dans: Archivos leonenses 29,
1975, pp. 59 – 81; Adalbaert de Vogüé, Structure et gouvernement de la communauté monastique chez
saint Benoît et autour de lui, dans: Atti del 7° Congresso internazionale di studio sull’alto Medioevo:
San Benedetto nel suo tempo. Norcia-Subiaco-Cassino-Montecassino, 29 settembre–5 ottobre 1980, 2
vols., Spolète 1982, pp. 563 –598, en particulier pp. 563 –564; Gregorio Penco, S. Benedetto può essere
autore anche della Regula Magistri?, dans: Benedictina 34, 1987, pp. 521–528; Ildefonso Maria Gomez,
Regla del Maestro – Regla de San Benito. Edicio Sinoptica, Zamora 1988; Adalbert de Vogüé, La Regola
del Maestro e la Regola di san Benedetto in relazione con i primi monasteri Benedettini, dans: XV
centenario della venuta di S. Benedetto a Subiaco. Celebrazioni benedettine 1999 –2001. Acta, éd. Maria
Antonietta Orlandi, Subiaco 2002, pp. 127–136; Paolo Bertolini, Dalle fondazioni di Subiaco a quella
di Montecassino: continuità o frattura?, dans: Ibid., pp. 177–191; Adalbert de Vogüé, Histoire littéraire
(note 21 supra), vol. 8: De la Vie des Pères du Jura aux œuvres de Césaire d’Arles (500 –542), p. 349. À
lire ces travaux, on finit même par se persuader que la Règle du Maître est plus conforme que la Règle
dite « bénédictine » à ce qu’on sait de l’expérience monastique de Benoit par le livre II des Dialogues de
Grégoire le Grand. Or les différences, lexicales entre autres, entre Règle du Maître et Règle bénédictine
ont été soulignées, par exemple par Eugène Manning, Les Hapax Legomena dans la Règle du Maître,
dans: Archivum Latinitatis Medii Aevi 3, 1963, pp. 17–34; Id., Observations sur la présence de la Regula
Magistri à Subiaco, dans: Recherches de théologie ancienne et médiévale 33, 1966, pp. 338 –341. Par une
sorte de renversement historiographique, la question se pose alors de savoir si Benoît est bien l’auteur de
la Règle dite « bénédictine ». Peu d’auteurs se sont lancés dans cette voie; pour Jacques Froger, La Règle
du Maître et les sources du monachisme bénédictin, dans: Revue d’ascetique et de mystique 30, 1954, pp.
275 –288, la Règle du Maître est l’œuvre de Benoît, tandis que la Règle bénédictine pourrait en être un
abrégé remanié du premier quart du VII ᵉ siècle, peut-être dû à Venerandus, premier témoin à mention-